Rencontre avec la Fondation Simone de Beauvoir et le site Genrimage
Ce n’est un secret pour personne : les filles se dirigent moins vers les carrières scientifiques que les garçons. Pourtant, elles n’ont pas de plus mauvaises notes ni de moindres compétences scientifiques. L’une des pistes réside dans les stéréotypes et représentations encore tenaces, qui les éloignent de ce type de carrière, volontairement.
Zoom avec Laetitia Puertas sur les initiatives vers le monde de l’éducation et des élèves du site Genrimages créé et développé par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir.
Y sont analysées et décryptées les images qui font la vie des élèves et qui perpétuent les stéréotypes à l’insu de la plupart d’entre nous.
Pouvez-vous présenter vos activités et l’origine de la création de Genrimages ?
Nous sommes une association et existons depuis 1982. Au départ, la mission du Centre Simone de Beauvoir était de récupérer les films militants des féministes de la 1ère heure, qui avaient été tournés pendant les années 70, à une époque où la vidéo n’était pas le média dominant. C’était un outil facile d’utilisation et un média « sans histoire » (entendre : sans maître qui en aurait dicté les règles), que beaucoup de collectifs féministes se sont appropriés pour traiter de thèmes que les médias contemporains ne traitaient pas.
Après quelques années d’inactivité, le Centre a repris en 2004 et élargit sa mission à la valorisation de ces œuvres, des combats féministes et de l’histoire des femmes. Parallèlement, les films ont été transmis à l’Institution, en véritable reconnaissance, et ils sont désormais conservés à la BNF : c’est notre « matrimoine ».
Depuis 2006, nous avons entrepris un travail important sur les représentations dans le cadre d’un pôle éducation et organisons des ateliers en milieu scolaire.
La notion de stéréotype était moins présente dans le débat public qu’aujourd’hui et c’est en 2008 grâce à la Région Ile de France que nous avons eu les moyens de développer des outils pour que les enseignants puissent eux-mêmes élaborer leurs échanges sur le thème de l’égalité de genre, dans une démarche d’interrogation permanente, avec une lecture non-militante mais en se posant des questions ensemble, à partir de représentations du quotidien.
Le site est un des outils, il a été refondu en 2015 sur financement de l’Education Nationale.
Notre mission est d’éduquer à l’égalité ET à l’image.
En matière d’accès aux sciences, comment voyez-vous les stéréotypes dans le milieu scolaire ?
Une chose est sûre : les enseignants saisissent bien l’enjeu d’égalité. Et ils ne sont pas les seuls, l’institution également.
Seulement, bien des campagnes tombent à côté en voulant bien faire, à l’instar de la dernière campagne de recrutement des enseignants, où l’on voit la femme, Laura, qui lit un livre et l’homme, Julien, qui manipule des outils technologiques.
Les sciences sont un bastion viriliste, légitimer les filles y est compliqué. Un métier est avant tout fait de compétences, venir sur la question du genre pose la question de l’illégitimité. Or, cette illégitimité nait la plupart du temps de nos propres biais, que l’on doit interroger.
C’est typiquement le cas dans la campagne de recrutement du CNRS que nous avons analysée sur le site.
« Si l’annonce peut paraître neutre, l’image illustre de façon très concrète les territoires réservés à chaque sexe en fonction de sa « nature » et de ses qualités pré-supposées (stéréotypes). » c’est ainsi que démarre votre analyse. Pourquoi ?
On est ici typiquement dans la représentation. L’homme est vu de profil, son regard voit loin, plongé dans la voix lactée. La femme est vue de face – elle est jolie – et observe le contenu d’un tube à essai. Implicitement, on comprend que la campagne promet aux hommes des carrières de chercheur en astronomie, tournées vers le futur, les sciences quantiques, l’avenir, tandis que les femmes auront grand plaisir à chercher bien au chaud dans un laboratoire.
L’image reproduit ainsi l’espace supposé de chaque sexe, l’intérieur pour le féminin, l’extérieur pour le masculin tandis que le cadrage attire l’attention vers le visage de la femme… et l’attitude de l’homme.
Concrètement, l’homme se positionne en chef, directeur, occupant un poste à responsabilité, qui fait des découvertes. La femme en exécutante, laborantine qui… analyse les découvertes. Il est curieux, savant, conquérant ; elle est minutieuse, précautionneuse, attentive. Le gros plan sur la jeune femme semble vouloir nous rassurer, et surtout rassurer les futures chercheuses sur la compatibilité sciences/"féminité", le stéréotype de la scientifique austère voire revêche étant encore actif.
Pensant bien faire, cette campagne reproduit des représentations genrées qui impactent directement les choix d'orientation des filles et des garçons qui ont intériorisé la croyance que tel ou tel domaine leur conviendra mieux du fait de leur sexe et non du fait de leur préférence et de leur compétence.
La conclusion que nous proposons à cette analyse intègre des ressources supplémentaires particulièrement illustrantes. J’en citerais une : « Les élèves pensent choisir librement, mais en réalité 60 à 70 % d’entre eux sont influencés par des stéréotypes, explique Pascal Huguet, le chercheur du CNRS qui a dirigé l’étude ».
Pour faire simple : les filles estiment leur probabilité de réussite bien plus forte dans les disciplines littéraires que scientifiques et cette estimation pèse sur leur confiance en elles et leur choix....
https://www.lejdd.fr/Societe/Education/info-jdd-les-lyceennes-ne-representent-que-13-des-eleves-en-specialite-numerique-contre-80-en-lettres-4067257
Un souhait, pour terminer ?
Je n’interviens jamais auprès des professeurs de mathématiques ou de sciences en général, et à 99% auprès d’enseignants femmes. Ce serait un bon axe de progression !
Aller plus loin : http://www.genrimages.org/plateforme/?q=genrimages/accueil